Saluons un pionnier de Lavigne
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la population canadienne-française assiste à un mouvement de colonisation, piloté par l’Eglise catholique. Les terres arables au Québec étant occupées et surpeuplées, on cherche à s’établir ailleurs. Le nord de l’Ontario devient la planche du salut hors Québec pour retourner sur une terre agricole et y conserver sa langue et sa religion.
Et c’est ainsi que Lavigne, parmi tant d’autres, voit son existence bien que son nom n’apparaisse quand 1914. D’après le recensement de 1901, ses origines remontent vers 1894. Les premiers venus, Ambroise et Annie Foisy s’installent dans le « Millerang », suivis des Corneiller. Après s’être hébergé chez les Foisy, Jean-Baptiste Lajeunesse s’installera dans le hameau appelé « Bruno », vers les 1897. Cette même année, les St-Jean et les Forest traversent la baie pour s’établir à « Notre-Dame du Lac » et les Arbour arrivent en 1899. Plus tard les trois hameaux se fusionnent pour devenir la communauté de Lavigne.
L’histoire qui suit représente le pionnier typique qui rêve de s’établir sur une belle terre fertile mais qui envisage une réalité ahurissante à son arrivée.
En 1907, François-Xavier Champagne quitte Woonsocket au Rhode Island et vient s’établir avec ses deux garçons, Joseph et François, dans cette même région, sur une terre, qui, en vérité, est une forêt remplie de gros pins blancs et rouges. Pour s’établir, il faut défricher un coin, bâtir un gîte et cultiver des légumes pour se nourrir. L’hiver pointe son nez très tôt obligeant les Champagne à s’héberger chez les Vincent à deux milles de là. Au printemps, ils s’empressent de continuer le défrichement. Ils triment dur tout l’été et voilà qu’à l’automne, Aglaé, épouse de François-Xavier, accompagnée des plus jeunes enfants, arrive de Woonsocket à son tour et s’installe dans son nouveau milieu.
Le temps passe, les enfants grandissent, François-Xavier décède en 1926 et Joseph, célibataire et employé du Canadien National, promet à son père mourant qu’il s’occupera de la terre paternelle avec sa mère. En 1930, Joseph, à 35 ans, épouse Rosa Miron, une enseignante à Lavigne. Ils auront quatorze enfants, dont quatre mourront en bas âge.
Joseph travaille fort sa vie durant. Cultivateur d’abord, il est à l’affût des nouveautés agricoles par l’entremise du journal La Terre de chez-nous et du Bulletin des Agriculteurs, faisant ainsi prospérer sa terre. Son troupeau de vaches laitières fournit d’abord la crème à la Fromagerie de Lavigne mais voyant que les producteurs de lait obtiennent un bien meilleur prix avec les laiteries environnantes, il vend sa production laitière à la Standard Dairy de Sudbury. Doublant ses chiffres d’affaires, il augmente son troupeau et achète les deux autres terres avoisinantes pour hausser la production.
Doué d’une intelligence supérieure et d’une éloquence naturelle, Joseph partage ses talents et ses connaissances avec les personnes qui le sollicitent. Généreux de son temps et soucieux de revendiquer les droits francophones pour ses concitoyens, Joseph se dévoue sans relâche dans l’Union des Cultivateurs franco-ontariens, dans la société secrète de Jacques Cartier (appelée communément les Pieds-Noirs), dans la Fromagerie, dans la Coopérative agricole de Lavigne, dans la Caisse populaire de Lavigne, dans l’Association du Parti libéral du Canada, etc.
Malheureusement la maladie ainsi que des circonstances incontrôlables viennent bouleverser la vie de Joseph et de Rosa.
Dans les années 60, l’exode de la jeunesse ouvrière augmente à vue d’œil. Finis les gros travaux sept jours par semaine, beau temps mauvais temps! On choisit un emploi basé sur une semaine de travail de 8 heures par jour x 5 jours et des vacances par surcroît! Les enfants de Joseph n’échappent pas à cet exode, si bien que dans les fins 60, Joseph et Rosa vendent toute la propriété au gouvernement de l’Ontario, pour une très modeste somme. Toutefois, la santé chancelante de Joseph empêche le couple de jouir d’une retraite bien méritée.
Joseph décède le 21 décembre 1971, à la suite d’une longue maladie.
Comme bon nombre de pionniers, Joseph a contribué de façon marquante au développement, au bien-être et à l’épanouissement des agriculteurs de sa région. Rendons hommage à ces bâtisseurs qui nous ont légué un héritage de coopération, d’entr’aide et de ténacité dans le travail et l’adversité.
Raymonde Champagne